vendredi 3 janvier 2014

Une Demoiselle d'Eleonora Marangoni d'après Irène Némirovsky



Paris, 1927 : les Années folles. Antoinette a 14 ans. Elle n'est plus une gamine, mais elle n'est pas encore une femme. Elle n'a pas encore rencontré l'amour : elle en rêve. Elle ne connaît rien au monde mais a une opinion sur tout. Dans son journal, elle note tout ce qui bouge autour d'elle, tout ce qu'elle ne dit jamais à personne, tout ce que les adultes ne voient pas, ne voient plus. Quand sa mère lui annonce qu'elle veut donner un bal, sa vie semble enfin pouvoir commencer : le monde l'attend et elle se prépare à le conquérir. Mais les choses n'iront pas comme prévu et l'initiation à l'âge adulte se fera par un acte de vengeance terrible, émouvant et désespéré, comme seuls les adolescents peuvent l'être.

J'ai découvert il y a peu ce très beau texte signé Eleonora Marangoni et illustré par Babeth Lafon. Cet ouvrage, sorti au début du mois de décembre, est inspiré du court roman Le Bal d'Irène Némirovsky (que j'adore). Il s'agit en fait d'extraits du journal intime d'Antoinette, l'héroïne, rédigés pendant la période relatée par la romancière. On assiste donc à la préparation du bal et de la réception, à la fameuse scène sur le pont jusqu'au désenchantement ... Le journal est celui d'une adolescente intelligente, amère et solitaire qui est très lucide face au comportement de ses parents dont elle dénonce l'égoïsme et la vanité. Antoinette décrit aussi son quotidien, auprès de ses camarades d'école mais aussi auprès de sa gouvernante anglaise, Betty, rêveuse car amoureuse ... Les pages de ce journal sont pleines de sensibilité. On reconnaît bien l'adolescente fragile et lucide du classique d'Irène Némirovsky, ainsi que le regard acéré qu'elle pose sur le monde bourgeois et étriqué qui l'entoure. Les illustrations de Babeth Lafon (que je ne connaissais pas du tout) sont d'une élégance folle et se marient à merveille à la prose de la jeune Antoinette. Elles mettent très bien en valeur le raffinement des tenues et reflètent la délicatesse et la légèreté (apparente) de cette période. Bref, je vous conseille fortement la découverte de cet ouvrage , surtout si comme moi, vous aimez le court texte dont il est inspiré.

jeudi 2 janvier 2014

Quatre Soeurs, tome 2 : Hortense, une bande dessinée de Cati Baur d'après Malika Ferdjoukh

19540756 Dans ce deuxième tome de la série, il est question d'Hortense, 11 ans, qui passe sa vie dans les livres et se demande se qu'elle va devenir : un personnage de sa série préférée? Chirurgienne de maladies incurables pour venir en aide à sa nouvelle amie Muguette? Ou bien comédienne? Mais pour monter sur scène, Hortense va devoir vaincre sa timidité... C'est dans son journal intime dont elle nous livre des extraits, qu'Hortense s'interroge et partage les hauts et les bas de sa vie d'adolescente.

La tétralogie de Malika Ferdjoukh figure en bonne place parmi mes romans préférés depuis déjà quelques années. J'en relis certains passages quelques fois au gré de mes envies car j'aime de tant à autre retrouver la Vill'Hervé et les cinq sœurs Verdelaine. J'ai toujours pensé qu'une adaptation (en 4 épisodes si possible) à la télévision pourrait être une merveilleuse idée. Mais ça, c'était avant que je me plonge dans les bandes dessinées de Cati Baur ! Depuis, je me dis qu'aucune adaptation en images ne pourra rivaliser avec celle-ci. J'avais déjà été séduite par le tome 1, Enid (sorti en janvier 2011 chez Delcourt) mais j'ai trouvé ce tome 2 encore plus délicieux. Dans ce volet, nous découvrons quelques pages du journal intime de Hortense, l'avant dernière sœur. Elle y raconte son malaise, sa difficulté d'être 1 parmi les 5, une multitude pour elle. Sur sa falaise fouettée par le vent, Hortense se réfugie dans son isolement, jusqu'au moment où elle fait la connaissance de Muguette, une jeune fille d'à peu près son âge, fantasque et énergique malgré sa maladie et qui use de jeux de mots comme personne. Dans ce tome, nous verrons Hortense essayer tant bien que mal de vaincre sa timidité. On la verra répéter pour ses cours de théâtre et même plus tard, endosser le rôle de Hortense (ça ne s'invente pas !), l'héroïne de la pièce de Marivaux, Le Petit Maître corrigé.
Il y a aussi un Petit Maître corrigé dans l'histoire des sœurs Verdelaine et il s'agit de la coquette Bettina. Son personnage de fille futile et superficielle prend de l'épaisseur pour le plus grand plaisir de l'auteur. Lorsque Merlin, l'irrésistible et attachant livreur de Nanouk Surgelés (un de mes personnages préférés de la saga) lui fait savoir qu'elle lui plaît, elle se montre odieuse avec lui. Elle le trouve trop moche et ne veut pas être vue à ses côtés, de peur de perdre la face devant ses amies. Sûre d'elle même, arrogante, Bettina ne se doute pas qu'elle est déjà amoureuse ... L'humiliation risque d'être terrible pour la jeune fille qui devra apprendre à voir au-delà des apparences. J'attendais avec impatience de voir apparaître Merlin entre les pages de cette bande-dessinée. Ce personnage est superbe et je pense que Cati Baur lui a fait honneur ! La scène de danse entre lui et Bettina ou encore celle de la grande roue sont aussi romantiques et déchirantes que je me les imaginais à la lecture du roman.
Tout au long de ces 150 pages et quelques, on ne s'ennuie pas une seconde. L'artiste a su donner un rythme trépidant à sa bande dessinée tout en ménageant des temps de pause qui offrent des scènes contemplatives et même un brin poétiques au récit. Les petits moments du quotidien ont aussi beaucoup à offrir (comme les fameuses conversations à bâtons rompus entre Enid et le gnome de la chasse d'eau, pour ne citer qu'un exemple). La mise en scène de Cati Baur est pleine d'inventivité et de charme. Il y a un vrai travail sur les plans (comme au cinéma !), les couleurs et pleins de petits effets de style ingénieux (comme la bulle qui susurre une mauvaise idée à l'oreille). Le trait est délicat, à la fois vif et harmonieux. C'est un vrai festival pour les yeux.
Une bande dessinée colorée et chaleureuse, idéale pour l'hiver !

Les 2 tomes, Enid et Hortense, ressortent en janvier 2014 chez Rue de Sèvres, la collection BD rattachée à L'Ecole des Loisirs. Le format est plus grand et le rendu des couleurs plus fidèle.

Cher Mr. Darcy d'Amanda Grange

. Amanda Grange nous offre une version épistolaire du classique de Jane Austen : Orgueil et Préjugés. Pemberley et Longbourn sont décrits à travers le point de vue des différents personnages, mais plus particulièrement à travers celui du romantique Mr Darcy. Une série de lettres nous dévoile comment ce dernier surmonte son chagrin après la mort de son père bien-aimé ; comment il va gérer ses affaires le liant au scandaleux Mr Wickham et comment il va tomber amoureux de la spirituelle Elizabeth Bennet.

Amanda Grange est l'auteur d'une série de romans sous forme de journaux intimes consacrés aux héros masculins de Jane Austen. Je ne m'y suis pas vraiment intéressée jusqu'ici mais j'ai eu envie de découvrir son dernier en date, qui se présente cette fois comme une relecture sur le mode épistolaire de Pride & Prejudice.
Je l'ai terminé il y a quelques jours et je dois dire que j'ai beaucoup plus aimé que ce que je prévoyais ! Comme toujours avec les adaptations des classiques de Jane Austen, quelques petites choses par ci par là m'ont gênée. Certains éléments de l'intrigue ne correspondent pas parfaitement à ma vision du roman mais ça reste assez minime. Et bon, je pense que lorsqu'on ouvre ce type de romans de paralittérature, il faut garder l'esprit ouvert ...
Cet ouvrage n'a pas la finesse ni la sensibilité du roman auquel il rend hommage mais il est loin de démériter face au reste de la production. Il reste bien écrit et bien ficelé.
Les lettres de Mary Bennet à son amie Lucy m'ont fait sourire à de nombreuses reprises. Amanda Grange a bien cerné le ridicule de ses propos et de son caractère. La jeune fille se met à lire Les Mystères d'Udolphe sur le conseil de son amie (tout aussi pédante qu'elle) et le voit, non pas comme un roman gothique et de pur divertissement mais comme un ouvrage d'instruction pour jeunes filles !
Dans l'ensemble, les personnalités des personnages sont respectées, j'ai tout particulièrement apprécié les lettres entre Elizabeth et Mrs Gardiner car on sent très bien l'attachement et la complicité qui les lie.
Les lettres que Darcy adresse à ses deux cousins, Philip et le colonel Fitzwilliam, sont pour le moins intéressantes car elles révèlent les pensées d'un personnage qui reste mystérieux et insaisissable aux yeux du lecteur pendant la majeure partie du roman de Jane Austen. La description qu'il fait de son attirance, de son inclination et de son admiration pour Elizabeth est crédible et touchante. Je crois que ces passages font parti de mes préférés parce qu'ils sont romantiques et sensibles. Amanda Grange a selon moi réussi à mettre des mots sur l'émoi amoureux de Darcy, sans dénaturer le personnage.
Donc, pour conclure, je dirais que ce roman épistolaire se lit très agréablement. Le récit est bien agencé et palpitant. Je le conseille volontiers. C'est une des meilleures relectures de Pride & Prejudice que j'ai lues jusqu'ici.

Le roman est disponible en français chez Milady (collection Pemberley) depuis le 6 décembre dernier.

dimanche 29 décembre 2013

Longbourn de Jo Baker ou Pride & Prejudice du point de vue des domestiques

Cette petite curiosité littéraire est sortie l'été dernier en Angleterre. En grande amatrice de Jane Austen et de romans dérivés, je me suis laissée tenter et je ne l'ai pas regretté.

If Elizabeth Bennet had the washing of her own petticoats, Sarah thought, she would be more careful not to trudge through muddy fields.

It is wash-day for the housemaids at Longbourn House, and Sarah's hands are chapped and bleeding. Domestic life below stairs, ruled tenderly and forcefully by Mrs Hill the housekeeper, is about to be disturbed by the arrival of a new footman smelling of the sea, and bearing secrets. For in Georgian England, there is a world the young ladies in the drawing room will never know, a world of poverty, love, and brutal war. A brilliantly imagined, irresistible below-stairs answer to Pride and Prejudice: a story of the romance, intrigue, and drama among the servants of the Bennet household, a triumphant tale of defying society's expectations, and an illuminating glimpse of working-class lives in Regency England.

J'ai apprécié ce roman même s'il m'a inspirée des sentiments pour le moins contradictoires. D'un point de vue strictement littéraire, je pense pouvoir dire que c'est une des "austeneries" les plus intéressantes que j'ai lues. Le roman est bien écrit, intelligent et extrêmement bien documenté. On sent que Jo Baker a fait un gros travail de recherche et qu'elle a mis beaucoup d'elle dans ce livre. J'ai lu plusieurs interviews où elle disait s'intéresser depuis des années à la vie des domestiques au XIXème siècle car ses ancêtres l'étaient. C'est à mon avis tout à son honneur de vouloir lever le voile sur des existences et des pratiques si souvent négligées dans la fiction et de mettre à l'honneur des personnalités intéressantes qui n'apparaissaient que comme des ombres dans le roman de Jane Austen.
Longbourn est la demeure d'un gentleman de bonne condition mais qui ne jouit pas pour autant d'une grande fortune. Elle ne nécessite pas l'emploi d'une garde de domestiques, nous ne sommes clairement pas à Pemberley et encore moins dans Downton Abbey. Ici, seules 5 personnes s'occupent du ménage, de la cuisine, de la lessive, des courses et de l'entretien de Longbourn dans son ensemble. Il y a Mr Hill, le majordome, qui commence à se faire vieux, Mrs Hill, son épouse, plus jeune et dynamique, qui occupe le rôle de la femme de charge entièrement dévouée au bien être de ses employeurs, les deux bonnes, Sarah, une jeune femme déterminée et un brin idéaliste et la jeune Polly, une gamine de 14 ans attachante et naïve. Au début de l'intrigue, un 5ème domestique les rejoint : le taciturne et mystérieux James Smith, le nouveau valet engagé pour seconder Mr Hill, dont la santé se dégrade.
En lisant ce roman, on a vraiment l'impression de vivre aux côtés de chacun de ces personnages, on assiste à leurs tâches quotidiennes, et on apprend peu à peu à percevoir leur attachement et le respect qu'ils éprouvent à l'égard de leurs employeurs mais aussi les rêves et espoirs qu'ils cachent au plus profond d'eux. Les descriptions de la vie domestique sont très réussies. Même si on est clairement face à une oeuvre de fiction, on sent que le roman a des qualités documentaires indéniables. L'auteur crée une vraie proximité avec ses personnages. Lorsque Sarah fait la lessive et s'acharne sur les jupons pleins de boue d'Elizabeth, le lecteur a presque l'impression de s'échiner avec elle.
Certains passages sont particulièrement émouvants. Je pense notamment aux scènes entre Sarah, Jane et Elizabeth. Sarah dit quelque chose de très beau au sujet de la personnalité de Jane. Elle est émerveillée par les qualités de coeur de sa jeune maîtresse et admire son caractère doux et apaisant, qui tranche avec celui de ses deux plus jeunes soeurs. On sent aussi toute l'admiration que Sarah a pour Elizabeth. Il me semble que le terme lovely est employé plusieurs fois pour la qualifier. A travers le regard de sa domestique, Elizabeth apparaît comme une jeune femme très charismatique, qui brille en société grâce à son intelligence et son esprit. Après l'annonce de ses fiançailles avec Mr Darcy (vers la fin du récit, donc), Sarah déclare être surprise d'entendre qu'on considère que le gentleman va épouser une femme en dessous de sa condition. Mr Darcy est excessivement riche, c'est certain, mais pour Sarah, Elizabeth est largement son égale !
Mary est moins ridicule et ridiculisée que dans le roman de Jane Austen. Elle apparaît davantage ici comme une jeune fille introvertie et négligée par sa famille, mais c'est peut-être aussi parce que Sarah n'a pas un regard aussi acéré et ironique que celui de la romancière ! Kitty et Lydia, elles, sont fidèles à elles-mêmes, des jeunes filles rieuses et insouciantes n'ayant que le flirt et les officiers en tête. La vie des domestiques est réglée sur celle de leurs employeurs. Lorsque Mr Collins vient séjourner chez les Bennet pendant quelques jours, il met la maisonnée sans dessus dessous. On ne s'en doute pas forcément lorsqu'on lit Pride and Prejudice mais les domestiques sont en émoi lorsque le cousin et héritier de Mr Bennet et donc sans doute aussi leur futur employeur, débarque à Longbourn.
Chacun des évènements dans la vie de la famille a une portée sur celle des domestiques (du moins, pour la plupart, car Elizabeth a aussi une vie privée, et heureusement !), chaque visite nécessite une préparation scrupuleuse et minutieuse en coulisses.
Elizabeth est l'héroïne de Pride & Prejudice, Sarah est celle de Longbourn. On peut dresser des parallèles intéressants entre les deux jeunes femmes, même si elles sont très différentes et ne passent pas par les même épreuves. Dans le roman, Sarah aussi tombe amoureuse et se pose des questions sur sa condition ... Mais là où Longbourn s'éloigne singulièrement du roman de Jane Austen, c'est dans sa tonalité. Alors que Pride & Prejudice est une comédie de moeurs, brillante et solaire, Longbourn joue beaucoup plus la carte du drame. Il est nettement plus noir et plus sombre, dans la peinture des sentiments et des personnages. Il faut dire que Sarah, James et les autres ne sont pas privilégiés et n'ont pas le même vécu que les héros et héroïnes de Pride & Prejudice.
Jo Baker livre ici un roman qui est tout sauf édulcoré. La violence occupe une place importante dans le récit, notamment celle de la Milice, mais elle est aussi présente dans le coeur et le passé des personnages. Le roman n'est jamais complaisant. La vision de Jo Baker donnera matière à discussion, c'est certain ! Je n'ai pas adhéré à tout, dans la mesure où j'ai eu du mal, parfois, à voir autant de noirceur et de médiocrité dans certains des personnages...
Même si certaines interprétations de l'auteur risquent de faire grincer les dents de beaucoup d'admirateurs de Jane Austen, Longbourn reste un roman bien écrit et assez fascinant. Malgré des éléments d'intrigue discutables, il offre des scènes à l'imaginaire saisissant (la description de Pemberley est très réussie). Et puis, il m'a donné envie de relire Pride & Prejudice et de retrouver Elizabeth & Darcy (qui m'ont un peu manquée pendant ma lecture, je dois bien l'avouer).

Arrive un vagabond de Robert Goolrick


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C’est au cours de l’été 1948 que Charlie Beale arriva à Brownsburg. Il était chargé de deux valises – l’une contenait quelques affaires et des couteaux de boucher, l’autre une importante somme d’argent. Charlie y tomba deux fois amoureux. D’abord, il s’éprit de cette ville paisible de Virginie dont les habitants semblaient vivre dignement, dans la crainte supportable d’un Dieu qu’ils avaient toutes les raisons de trouver plutôt bienveillant à leur égard. Une preuve parmi d’autres : il n’y avait encore jamais eu de crime à Brownsburg. La deuxième fois que Charlie tomba amoureux fut le jour où il rencontra la belle Sylvan Glass...

Les toutes premières pages du roman laissent présager un drame. Tout ou presque porte à croire que la tragédie n'est pas loin et qu'à Browsburg, petite bourgade de l'état de Virginie, l'arrivée d'un vagabond constitue les prémices de grands bouleversements.
Rien que le titre, Arrive un vagabond, trois simples petits mots, sonne comme un sésame et nous fait entrer dans un récit aux allures de conte mythologique. L'arrivée de Charlie Beale, figure de héros tragique par excellente, par son côté attachant allié à une vraie aura de mystère et de séduction, est celle de tous les possibles et donc peut-être aussi des renversements de valeur.
A peine installé et accueilli par les habitants de Browsburg (qui l'admirent pour ses talents de boucher), Charlie tombe passionnément et éperdument amoureux de Sylvan, une femme mariée. Sylvan est elle aussi, à bien des égards, une figure insaisissable qui semble n'exister qu'à travers ses illusions et ses passions, celle pour Charlie tout d'abord mais aussi celle qu'elle éprouve pour le cinéma et le glamour hollywoodien. Sylvan est une jeune femme d'origine misérable, achetée par son mari, un puissant notable de la ville dont la richesse n'a d'égale que le dégoût qu'il inspire au lecteur. Charlie se jette à coeur et à corps perdu dans cette liaison adultère. Il a des valeurs, des principes mais contrairement aux habitants du village, il ne craint pas les flammes d'enfer et peine même d'ailleurs à trouver une confession avec laquelle il soit en accord.
Arrive un vagabond est aussi un roman sur l'enfance et l'innocence. Témoin de leur liaison, Sam, le fils du boucher chez lequel Charlie travaille, son ami le plus fidèle, qui l'admire et l'adore, sera garant de leur secret. Sam aime trop Charlie (et inversement) pour le trahir. Malgré son jeune âge et ses frêles épaules, il restera à jamais son ami le plus sûr. Le poids du silence de Sam aura à jamais des résonances dans sa vie d'adulte.
Son regard innocent et acéré rappellent celui des petits héros de Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur et de La Nuit du chasseur, deux récits une fois encore très enracinés dans l'imaginaire du Sud des Etats-Unis.
Le roman de Robert Goolrick sent le Sud, indéniablement. Entre ses pages, surgissent la violence amoureuse, la sensualité brutale, la chaleur, les folies et les excès. A cet égard, les excès de dramatisation peuvent déconcerter mais ont, à mon sens, tout à fait leur place dans un récit qui semble beaucoup jouer avec les symboles de l'imaginaire du Sud et du film noir hollywoodien.
Un beau roman, lyrique et habilement construit.

dimanche 22 décembre 2013

La double vie de Cassiel Roadnight de Jenny Valentine


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Chap n'a pas cherché à se faire passer pour un autre, il a simplement laissé faire... Dans ce foyer d'urgence pour jeunes paumés où il refusait obstinément de donner son nom, les gens du centre sont venus le voir avec une photo, celle d'un ado porté disparu qui lui ressemblait comme deux gouttes d'eau. Chap a fi ni par dire ce que les autres attendaient, que c'était bien lui Cassiel Roadnight ! Et puis tout s'est enchaîné, la soeur de Cassiel est venue le chercher pour le ramener chez lui, dans sa maison, où l'attendaient sa mère et son grand frère. Chap n'a pas pensé qu'il allait vivre sous leur regard, chaque jour, chaque heure, chaque seconde et qu'il ne pourrait jamais se détendre ni se laisser aller. Un geste déplacé, un mot de travers, une mauvaise réaction risqueraient de donner l'alarme et de tout faire basculer ! Il n'a pas imaginé non plus que Cassiel pouvait cacher un secret monstrueux, et que c'est lui, Chap, qui allait en hériter...

Chap est un garçon brisé, abandonné et solitaire qui a vécu de foyer en foyer et dans la rue pendant des années. Lorsqu'un garçon de son âge et qui est son portrait craché est porté disparu, il est tenté de se faire passer pour lui pour ressentir enfin ce que c'est que d'être entouré et aimé par une famille. Mais sa conscience le rattrape très vite. Pour Edie, "sa soeur", et Helen, "sa mère", ce sont des retrouvailles déchirantes. Frank, son aîné, l'accueille avec une vraie affection et chaleur fraternelles. Même s'il semble faire illusion, Chap est certain que d'un moment à l'autre, son masque se brisera et que sa véritable identité sera révélée. Il est un usurpateur, un voleur, un briseur de vies. Bien que Chap se trouve ignoble et s'en veuille à mort, on ne peut que s'attacher à lui et lui souhaiter de se sortir de cette situation inextricable. Le désir de se trouver une place à lui, de se sentir enfin chez lui est très fort et décrit avec émotion et pudeur. Le récit dans le présent, chez les Roadnight est teinté de souvenirs de l'enfance recluse de Chap, passée dans une vieille bicoque auprès d'un grand père aimant et casanier, qui a trouvé refuge dans les livres depuis de longues années. Chap s'appuie sur ces lointains échos du passé pour se construire une identité qui a toujours été vacillante. Notre héros n'a jamais vraiment su qu'il y était, ni même si Chap est son véritable prénom. Si sa vie lui semble compliquée et mystérieuse, celle de Cassiel, son double, son alter ego, son échappatoire, n'est pas mal non plus dans son genre. Lorsque Floyd, un garçon un brin fantasque (que tout le monde ou presque semble mépriser dans cette petite ville) lui révèle des choses inquiétantes sur la nuit de la disparition de Cassiel, Chap prend conscience qu'il n'a pas d'autre choix que de lever les masques et déterrer des secrets bien enfouis pour enfin révéler la terrible vérité ...
La double vie de Cassiel Roadnight, qui a reçu le prix de la pépite du roman ado au dernier Salon du livre jeunesse de Montreuil, est un récit aussi poignant que palpitant. Chap est désarmant de fragilité et de courage. Ce roman, en plus d'offrir un portrait d'adolescent vibrant d'émotion, est un thriller efficace et ténébreux qui joue beaucoup sur le mystère et les secrets de famille. Même s'il est résolument contemporain, il a quelque chose de dickensien qui m'a beaucoup plu.
Bref, encore un excellent roman publié dans la collection Médium de L'Ecole des Loisirs

vendredi 20 décembre 2013

Le Coeur des louves de Stéphane Servant


Célia est arrivée seule, à la fin de l'été. Livrée à elle-même dans la vieille maison, elle attend sa mère. Le village est toujours pareil, perdu au fond de la vallée, avec ses montagnes couvertes de forêts et son Iac Noir. Leur retour réveille de vieilles histoires. Celles d'une grand-mère à la réputation sulfureuse, morte il y a quelques années. Car ici, tout le monde se connaît depuis toujours. On s'aime trop ou on se hait et ce sont les hommes qui font la loi, par la force s'il le faut. Pour découvrir ce qui se cache sous la surface des choses, elle devra se tailler un chemin, entre mensonges et superstitions. Et se faire louve pour ne pas être proie ...

Le Coeur des louves, nouveauté de la rentrée des éditions Rouergue, est un roman fleuve au style ample, élégant et poétique. Dans le récit, l'auteur entrelace avec finesse et délicatesse deux voix et deux existences : celle de Celia, une jeune fille solitaire et blessée, rongée par le divorce de ses parents et la dépresssion de sa mère, un écrivain célèbre, et celle de Tina, sa grand-mère, une femme étrange considérée par les habitants du village comme une créature excentrique et un peu sorcière. En se réinstallant dans la maison de sa grand-mère, au coeur de la vallée, dans un petit village qui n'a pas de nom, Celia revient sur les traces de son enfance et essaiera tant que mal de sonder les mystères des coeurs et des âmes de ses habitants. Les plus anciens croient encore en cette légende de femme louve et continuent de porter le poids du souvenir d'atrocités commises juste après la guerre, une série de meurtres de petites filles, dont un étranger fut alors accusé ... Tina a vécu pendant toutes ces années en marge de la société. Elle, ainsi que sa fille, Catherine, ont toujours été méprisées et considérées comme des pestiférées. Lorsque Célia revient au village, elle constate que les choses n'ont pas changé. On la regarde elle aussi d'un mauvais oeil, et les garçons, à commencer par Paul, le petit fils du maire, le chef de bande, se montrent très vite entreprenants ... Même si l'atmosphère du roman est baignée de fantastique, le surnaturel ne prend jamais le pas sur la folie des hommes ordinaires, leur violence, leur machisme, ainsi que sur la puissance des passions amoureuses et des superstitions. Celia ouvre la boîte de Pandore, et révèlera peu à peu les secrets enfouis sur trois générations de femmes. L'héroïne est une jeune fille éprise de liberté en manque de repères et d'affection. Au cours de son aventure, aux allures de quête d'identité, elle découvrira bien plus que ce qu'elle aurait imaginé, sur elle-même et sa famille mais aussi sur l'amour et les hommes... Avec un talent d'écriture indéniable, l'auteur nous embarque dans un roman fleuve dense, sombre, tortueux, romantique, porté par un imaginaire riche, saisissant, et envoûtant. Le Coeur des louves est tout à la fois un récit initiatique, un thriller familial et un roman très féminin. A lire absolument et à mettre entre les mains d'un grand ado !